Le terme « rechute » est souvent employé en addictologie pour désigner le fait qu’une personne reconsomme après une décision d’abstinence. Elle est la traduction d’une perte de contrôle en dépit de la connaissance des conséquences négatives. Il s'agit d’un critère diagnostic central des addictions et sa prévention doit être intégrée au suivi du patient [1].
DE L’IMPORTANCE DES MOTS
Le mot « rechute » évoque une personne qui a « chuté » une nouvelle fois. Si le mot «chute » possède déjà une connotation négative (écroulement, effondrement, déclin, déchéance, décadence, déchet…) [2], la « rechute » est amplifiée par la notion de récidive. Elle est ainsi souvent associée à la notion d’échec avec cette idée de « repartir de nouveau de zéro ». Ces reprises de consommation ont pour conséquences une augmentation de la culpabilité, une perte de confiance en soi ou encore une perte de motivation.
Témoignage Tabac Info Service [3] :
« Est-ce que tous les bénéfices santé repartent à zéro avec ma rechute accidentelle ? »
Les professionnels spécialisés en tabacologie/addictologie préfèrent utiliser le terme de « reprise de consommation », plus approprié au regard des styles relationnels validés par la Haute Autorité de Santé qui recommande des techniques basées sur l’empathie, bienveillance et le non-jugement. [4]
Exemple de reformulation :
Une personne culpabilise d’avoir refumer. Au lieu de reformuler : « Vous me dites que vous avez rechuté, souhaitez-vous en parler ? », préférer plutôt : « Vous me dites que vous avez repris la consommation de tabac, souhaitez-vous en parler ? »
LES REPRISES DE CONSOMMATION FONT PARTIES DU PROCESSUS D’ARRÊT
La maladie addictive est caractérisée par de fréquentes reprises de consommation malgré les efforts réalisés et la connaissance des effets négatifs. La reprise de consommation est un phénomène indépendant de la volonté [5].
Pour toutes les addictions (tabac, alcool, cannabis…), cette reprise de consommation est la règle et non l’exception [5]. En fait, il est plus difficile d’arrêter de fumer que d’arrêter de consommer de l’alcool, du cannabis ou de la cocaïne [6].
On retrouve cette notion de « rechute » dans les critères de dépendance de la classification internationale des maladies (CIM-10) ou dans des concepts connus en addictologie comme le cercle de Prochaska et Diclemente. Elle traduit la survenue d’envie forte / irrépressible (appelé craving) à des moments où la personne avait décidé de ne plus fumer. Cette perte de contrôle peut survenir quelques heures, jours, mois voire années après avoir fumé « la dernière cigarette ». La gestion de ce craving est un enjeu majeur dans la prévention de la reprise de consommation [7].
CONTEXTE DE REPRISE DE CONSOMMATION
Les premiers jours et semaines après l’arrêt de consommation sont les périodes les plus à risque de reprise du tabac du fait de l’existence du syndrome de sevrage (anxiété, irritabilité, troubles du sommeil…). Durant cette période, les envies sont plus fortes en intensité et en fréquence. Une fois un mois passé sans fumer, les études montrent que la personne a 5 fois plus de chance d’arrêter sur le long terme (slogan de la première campagne Mois sans tabac).
Cependant, même après une longue période d’abstinence, des envies peuvent persister et certaines situations peuvent provoquer des pics de craving plus intenses entrainant une reprise de la consommation. Bien qu’elles soient propres à chacun, on retrouve souvent les situations liées au stress (difficultés au travail, problèmes personnels…), au manque de récompense (les cigarettes « plaisirs »), aux habitudes (la pause cigarette, l’attente dans les transports…). La prise de poids est également citée comme un facteur important de reprise de tabac. Les comorbidités psychiatriques sont très fréquemment associées à la consommation de tabac et augmentent fortement les risques de reprise de consommation. Elles doivent être repérées et prises en charge par un médecin [8].
« RECHUTE » OU « FAUX PAS » ?
Témoignage Tabac Info Service [9] :
« J'ai arrêté la cigarette depuis 51 jours et aujourd'hui j'ai craqué et j'ai fumé 2 cigarettes. Je voudrais savoir si c'est une rechute ?! »
Le « faux pas » est à différencier de la rechute. Il s’agit souvent de consommations faibles ou dans un contexte délimité dans le temps (lors d’une fête, en vacances…) mais qui n’ont pas empêchées la personne de s’abstenir de nouveau complètement de fumer.
Un « faux pas » augmente forcément le risque de rechute, mais il existe une différence fondamentale entre un faux pas isolé et l’abandon de l’abstinence. L’évolution d’un « faux pas » vers la rechute, n’étant pas inéluctable. Les « faux pas » sont des informations importantes à échanger avec la personne car elles permettent de mieux comprendre sa relation au tabac et d’identifier les différents points de vulnérabilité [8].
Exemple de réponse de tabac info service :
« Ça fait 3 mois que j'ai arrêté de fumer mais samedi j'ai acheté un paquet que j'ai fumé mais je n'ai pas fumé depuis hier est-ce grave ? »
« Ne considérez pas cette reprise comme un échec mais comme un incident de parcours. Ce n'est pas parce que l'on rate une marche que l'on ne va pas monter l'escalier. »
PRÉVENTION DE LA « RECHUTE »
Une fois l’arrêt instauré, l’accompagnement vise à prévenir les reprises de consommation. Durant le premier mois d’arrêt, la gestion du craving est un enjeu important et peut être aider par la prescription de traitements de substitution nicotinique, recommandés en première intention. Ces traitements peuvent être prescrits aussi longtemps que les envies persistent.
Il est important d’aborder régulièrement la question des envies de cigarette, même après une longue période d’abstinence. Chaque situation incitant le patient à fumer est analysée, le « faux pas » dédramatisé, le patient déculpabilisé et averti que les rechutes font partie du processus d’arrêt. [4]
Des stratégies globales sont élaborées pour prévenir les risques et destinées à des changements au long terme, en particulier sur le mode de vie. On peut citer [8] :
Le mode de vie et comportement de santé : le patient est encouragé à développer des activités gratifiantes afin de réduire le sentiment de frustration et d’augmenter le sentiment d’auto-efficacité.
Les techniques de contrôle des stimuli : elle consiste dans le retrait des stimuli associés au tabac dans l’environnement proche afin d’éviter que les envies se déclenchent (supprimer les cendriers, éviter de passer devant un bureau de tabac…).
Les techniques de gestion des envies : il s’agit d’encourager les patients à choisir une stratégie simple, utilisable facilement dans une situation à risque (boire un verre d’eau, respirer…) qui permet de focaliser son attention sur d’autres pensées que leurs envies.
Les feuilles de route : il s’agit d’un moyen ludique d’établir des étapes et d’anticiper les situations à risque les plus probables. Elles peuvent prendre la forme d’un livret suivi ou d’un agenda.
L’adaptation des colonnes de Beck à la prévention de la rechute [10]. Il s’agit de l’adaptation d’une technique simple pour mettre en évidence les pensées dysfonctionnelles des patients afin de les aider à mieux les analyser. Ces pensées dysfonctionnelles entraînent des actes ou des croyances inadaptés.
Vous pouvez trouver des exemples de stratégies citées précédemment sur le site de Stop-tabac.
Pouvoir être soutenu est un élement essentiel pour réduire les reconsommations. On peut citer comme exemple les professionnels de santé de proximité (médecin, infirmier, pharmacien, sage-femme, kinésithérapeute...), les associations et mouvements d'entraides en addictologie ou encore le numéro de tabac info service.
Le lien avec le patient reste l’élément essentiel pour échanger librement sur la reprise de tabac. L’intervention motivationnelle et sa forme brève [11] permettent un accompagnement empathique et bienveillant de la personne visant à renforçant le sentiment de liberté et d’efficacité de la personne.
ORIENTATION
Il est recommandé d’orienter vers un spécialiste dans les cas suivants [4] :
Difficultés sociales majeures ;
Troubles psychiatriques ;
Autres addictions associées ;
Échecs répétés et fréquents ;
Nécessité d’un accompagnement psychothérapeutique spécifique ;
À la demande du patient.
Vous pouvez retrouver les spécialistes en proximité sur le site www.addictoclic.com.
EN CONCLUSION
La reprise de la consommation du tabac est encore trop souvent vécue comme un échec. La prévention de la « rechute » doit être mise en place sur le long terme d’où le rôle essentiel des professionnels notamment de proximité. Chaque arrêt, même minime, est un point positif à valoriser et rapproche la personne du succès final. Accompagné par un professionnel, c’est 10 fois plus de chance d’arrêter !
Bibliographie
(1) HAS. La prévention des addictions et la réduction des risques et des dommages par les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Septembre 2019 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-01/la_prevention_des_addictions_et_la_reduction_des_risques_et_des_dommages_par_les_csapa-_recommandations.pdf
(2) Le ROBERT. Définition "chute". https://dictionnaire.lerobert.com/definition/chute
(3) Tabac info service. Témoignages. https://www.tabac-info-service.fr/questions-reponses/04_questions-mises-en-ligne/rechute100
(4) HAS. Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours. Octobre 2014. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-01/recommandations_-_arret_de_la_consommation_de_tabac.pdf
(5) Éric Englebert, Muriel Delvaux. Chapitre 25. Est-il vrai que le risque de rechuter est important si on refume une cigarette après sevrage. Le tabac en questions (2020). https://www.cairn.info/le-tabac-en-questions--9782804708221-page-189.htm
(6) HAS. Arrêter de fumer et ne pas rechuter - Dossier d'information patient. Janvier 2014. https://www.has-sante.fr/jcms/c_1719733/fr/arreter-de-fumer-et-ne-pas-rechuter-dossier-d-information-patient
(7) Marc Auricombe, Mélina Fastes, Jean-Pierre Daulouède, Jean Tignol. Le craving et nouvelle clinique de l’addiction : une perspective simplifiée et opérationnelle. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique. Volume 176, Issue 8, October 2018, Pages 746-749. https://doi.org/10.1016/j.amp.2018.08.014
(8) Michael LUKASIEWICZ, Magalie FRENOY-PERES. Prévention de la rechute. Traité d'addictologie, 2e édition 2016. p249 à 254.
(9) Tabac info service. Témoignages. https://www.tabac-info-service.fr/temoignages?theme=7699974
(10) HAS. Adaptation des colonnes de Beck à la prévention de la rechute. 2014. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-11/outil_rechute_colonnes_de_beck.pdf(11) HAS. Intervention motivationnelle brève. Février 2024. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-03/2024_02_15_intervention_motivationnelle_breve.pdf
Photo ©Canva pro
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